Obligation de recourir à un expert pour l’achat d’un immeuble?

Le Code civil du Québec impose une garantie de qualité au vendeur d’un bien à l’article 1726. Cette garantie s’attache au bien sans qu’il y ait besoin d’un écrit à cet effet :

« 1726. Le vendeur est tenu de garantir à l’acheteur que le bien et ses accessoires sont, lors de la vente, exempts de vices cachés qui le rendent impropre à l’usage auquel on le destine ou qui diminuent tellement son utilité que l’acheteur ne l’aurait pas acheté, ou n’aurait pas donné si haut prix, s’il les avait connus. Il n’est, cependant, pas tenu de garantir le vice caché connu de l’acheteur ni le vice apparent; est apparent le vice qui peut être constaté par un acheteur prudent et diligent sans avoir besoin de recourir à un expert. »

S’il fallait s’arrêter à une interprétation littérale de cet article, il n’existe aucune obligation légale de recourir à un expert en matière de vice caché tel que le mentionne madame le juge L’Heureux-Dubé dans l’arrêt Gosselin c. Létourneau1:

«Un examen attentif et nuancé de la jurisprudence à cet égard ne permet pas de dégager une obligation stricte et absolue pour l’acheteur d’immeuble de retenir les services d’un expert.»

Cependant, les auteurs et les tribunaux ont poussé plus loin l’analyse de cet article et y ont mis des balises. Ainsi, le professeur Denys-Claude Lamontagne explique cette situation :

«L’acheteur n’a pas besoin de recourir à un professionnel ou expert pour examiner le bien en vue de l’acquisition projetée (1726 C.c.Q.). Toutefois, la présence d’un expert est préférable dans certaines situations – à moins que l’acheteur ne soit lui-même un expert – par exemple, lorsqu’un immeuble a une grande valeur ou est vétuste. Naturellement, l’expert peut déceler plus facilement le vice.»2

Ensuite, la Cour d’appel s’est prononcée sur la question notamment dans Placement Jacmar inc. c. Benzakour3 et dans Cloutier c. Létourneau4, en décidant d’une part que :

«Ainsi, un vice n’est pas «caché» du seul fait que l’acheteur ne l’a pas aperçu ou n’en a pas apprécié la gravité. Le vice qui aurait pu être constaté par un acheteur consciencieux sera considéré comme apparent. La détermination de ce qui est «caché» ou «apparent» sera influencée par l’ensemble des circonstances particulières à chaque cas. Ainsi, le Tribunal prend en considération le statut du vendeur (vendeur spécialisé ou non), le statut de l’acheteur (profane ou qualifié en construction), la nature du bien acheté (maison, commerce, industrie), …» 
Et d’autre part que: 
«Mais en l’espèce, force est de comprendre que des indices de vices invitaient l’acheteur le moins avisé à la prudence, qu’il ne se fit accompagner d’aucun conseiller utile alors qu’un technicien le moindrement compétent et vigilant l’aurait, sur le champ et à peu de frais, mis en garde contre une mauvaise affaire.»

Donc, l’acheteur doit recourir à un expert si les circonstances s’y prêtent c’est-à-dire lorsqu’il n’a pas les connaissances requises, lorsqu’il existe des indices de vice ou alors lorsque le vendeur en déclare l’existence.

1 Jurisp. exp. no. 80-132 (C.A.)
2 Denys-Claude LAMONTAGNE et Bernard LAROCHELLE, Droit spécialisé des contrats, Volume 1, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2000, p. 118, par. 230.